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« E-learning : plus jamais ça ! »

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Jean-Marc Tassetto, coorpacademy, formation continue en ligne

©DR

Fils d’institutrice, passionné de questions éducatives, marketeur et geek pour être passé chez SFR et Google (directeur France), Jean-Marc Tassetto possédait de nombreux atouts pour entrer dans le monde des EdTechs. Son credo avec les deux autres fondateurs de Coorpacademy ? Révolutionner la formation continue et le e-learning en libérant l’envie d’apprendre ! Focus sur l’histoire et le concept de Coorpacademy sa start-up basée à l’EPFL, une pépite des EdTechs en pleine croissance qui vient de réussir la plus importante levée de fonds du secteur EdTech en Europe, 10 millions d’euros.

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Jean-François FIORINA : en quelques mots, racontez-nous votre parcours.

Jean-Marc Tassetto : J’ai fait une carrière dans trois grands groupes : Danone, de chef de produits à la direction marketing, ensuite quatorze ans dans les télécoms chez SFR où je suis arrivé en mars 1997 pour créer la fonction marketing quand les ingénieurs X-télécom se sont dits qu’il fallait compter des clients plutôt que des poteaux ! Ensuite 3 ans comme patron de Google France, et enfin la création d’une start-up EdTech en juillet 2013, ici à Lausanne sur le campus de l’École Polytechnique. Un parcours entrecoupé d’une expérience d’enseignant à Sophia Antipolis, à l’époque au Ceram, à la fin des années 80.

 

Pourquoi quitter le confort des grands groupes pour l’instabilité de la start-up ?

On peut parler de congruence dans un projet de vie mais il y a eu un facteur déclencheur : ma rencontre en Californie, en octobre 2012, à Mountain View, siège de Google avec le professeur de Stanford, Peter Norvig, directeur scientifique dans cette même entreprise.

Peter avec l’une de ses fameuses chemises à fleurs m’a dit « Je viens de donner un cours à 165 000 étudiants ». Voila je suis fils d’institutrice et professeur affilié à HEC Paris, ça m’a parlé. Premier wow effect comme disent les Anglo-Saxons et deuxième wow effect, c’est quand Peter a poursuivi « À l’issue de ce cours les 200 meilleurs n’étaient pas des étudiants de Stanford… ».

Donc 11h de vol retour pour Paris, j’ai eu le temps de réfléchir au fond à ce qui était en train de se passer. Je venais de prendre contact avec les fameux MOOCs, Massive Open Online Courses, la révolution digitale venait d’impacter et disrupter l’éducation et, en particulier, l’éducation académique et universitaire.

Ce fut le déclencheur. Avec Arnauld l’un des 2 associés co-fondateurs qui était avec moi chez Google, nous parlions beaucoup de la nécessité de former les manageurs des entreprises à la culture digitale.

Les équipes de Google se répartissaient en deux catégories : de grands experts avec un niveau très affuté, très pointu sur le digital et le reste de l’entreprise qui au fond ne maîtrisait pas les bases de la langue digitale. Si vous ne parlez pas la langue, vous vous renfermez et cela devient plus difficile pour une entreprise de se transformer.

Nous nous sommes dits que nous allions former des centaines de managers, des milliers voire des millions ! La rencontre avec un troisième associé co-fondateur, Fréderic Bénichou qui est un HEC, pharmacien, serial entrepreneur du Web, a conclu ce qu’on appelle le momentum.

 

Quelle définition donneriez-vous à une EdTech ?

EdTech, c’est la contraction de Education et Technologie. C’est donc une entreprise dont la dimension technologique est très importante. Coorpacademy, par exemple, est une start-up dont la moitié des collaborateurs sont des développeurs. Ils rédigent des lignes de code, en l’occurrence celles d’une plateforme propriétaire, pas vraiment pour le plaisir d’être propriétaire d’une plateforme d’ailleurs.

Nous sommes partis d’un constat très simple : les plateformes de e-learning nées au début des années 2000, proposaient des expériences absolument affligeantes pour les apprenants.

Même chez Google, nous avions subi des séances de e-learning, cinquante minutes scotchés devant un écran d’ordinateur à passer des slides. Nous nous sommes dits plus jamais ça ! D’autant qu’émergeaient des solutions très axées Web. Nous avons donc créé une EdTech centrée sur la formation continue et l’apprentissage d’où son nom, Coorpacademy.

Nous avons réécrit un protocole pédagogique en ligne pour ne plus subir les LMS (Learning Management System) avec l’idée de passer d’une logique technologique chez nos donneurs d’ordres à une logique d’apprenant. Avec une question clé : comment faire passer un taux d’engagement d’un apprenant de 5% à plus de 60% dans un monde corporate en respectant ses règles. Voila ce qu’est un EdTech de mon point de vue.

 

Pourquoi ce marché, pourquoi la Suisse et l’EPFL ?

En fait nous avons décidé début 2013 de prendre le risque parce qu’on avait envie de ce projet et que l’opportunité de business semblait immense.

Le marché de la formation continue dans le monde pèse 150 milliards de dollars. Essentiellement du présentiel avec un peu de e-learning probablement moins de 10%. Avec la digitalisation, c’est 10% puis 20% puis 30% de ce marché qui va se digitaliser.

La Suisse parce que l’EPFL. Nous avons cherché le meilleur endroit pour s’installer : Paris, Londres où nous avons rencontré des équipes de Youtube Education, Zürich où Michel Benard, patron de Google Education pour l’Europe, m’a dit d’aller voir un endroit en Europe, l’EPFL.

Quand on me demande pourquoi nous n’avons pas créé Coorpacademy en France, je l’explique en évoquant ma première journée à l’EPFL :

  • 10h / Rencontre avec le professeur chercheur Pierre Dillenbourg, pape des MOOCs EPFL qui nous a fait visiter ses laboratoires de recherche sur tout ce qui est pédagogie à l’ère du digital et de l’interface hommes/machines.
  • 12h / Rencontre avec la responsable de l’installation des quelque 160 entreprises sur le campus
  • 15h / Rencontre Patrick Aebischer, président de l’EPFL. Pendant une heure et demie, on parle des MOOCs. Son objectif en 2013: passer à plus d’un plus d’un million d’apprenants en ligne. Ils sont plus de 1,4 millions étudiants en ligne à date.
  • 17h / Visite des bureaux.
  • 17h30 / Bail signé !

Donc l’EPFL parce que c’est d’abord un écosystème qui correspond parfaitement à notre projet :

  • une « marque universitaire » emblématique,
  • 10 000 étudiants on-campus,
  • 1,4 million d’étudiants en ligne
  • des entreprises partenaires proches
  • des étudiants à recruter,
  • des fonds d’investissement.

 

Quelle est votre promesse, votre valeur ajoutée en matière de formation continue?

Réengager les apprenants, les collaborateurs. Notre indicateur clé de performance, c’est le taux d’engagement, c’est-a-dire le taux d’activité réelle des apprenants sur la plateforme : des gens qui non seulement sont connectés à la plateforme mais qui sont allés voir des vidéos, poster des commentaires, ont fait des battles, se sont mis à disposition de leurs pairs, ont répondu à des questions, …

Cet index d’engagement est mesuré, c’est pour cela que nous sommes choisis par des entreprises. C’est notre proposition de valeur : libérer l’envie d’apprendre et de réengager les apprenants dans un univers corporate qui fonctionne selon des règles spécifiques.

 

Qui est votre client, l’entreprise ou l’individu ou les deux ?

Les deux.

C’est un peu la difficulté de notre CRM. C’est l’entreprise le donneur d’ordres (L’Oréal, TAG Heuer, GDF-Suez,…plus de 60 entreprises nous ont choisi) que ce soit la présidence, la direction marketing ou RH. Mais nous disons : « on vous aime beaucoup, vous êtes importants pour nous, vous payez nos factures mais notre cible, notre allié objectif, notre premier objectif, c’est l’apprenant ». Parce que nous venons de chez Google, parce que je suis un ancien marketeur du yaourt et de la lessive. Chez Google on dit « User first and the rest will follow » en toute humilité chez Corpacademy, on dit « Learner first and the rest will follow ».

C’est tellement compliqué d’aller soulever des montagnes que nous nous sommes focalisés sur un monde dont nous connaissions bien les règles.

Au départ, nous nous sommes appuyés sur 4 piliers de conviction :

  • Le premier, dans le monde de l’entreprise, c’est la flexibilité.

Je dois pouvoir me mettre en pause à tout moment. On travaille pour Chanel, L’Oréal, TAG Heuer pour l’industrie du luxe, quand un client entre dans la boutique ou dans l’industrie hôtelière, il faut que l’apprenant puisse se mettre en pause, sur sa tablette ou sur son PC et puisse finir sa session sur son smartphone.

Flexibilité cela veut aussi dire des sessions courtes.

  • Le deuxième pilier, c’est l’hyper individualisation du parcours.

Nous sommes tous passés par un protocole unifié qui atteint probablement ses limites : c’est-à-dire la même leçon donnée de la même façon aux apprenants puis des exercices et l’examen. Nous essayons d’inverser la pédagogie et de l’individualiser.

  • Troisième élément, c’est la gamification parce que nous sommes au XXIe siècle. On a par exemple mis une fonctionnalité battle sur notre plateforme. Je ne vous cache pas que la première fois qu’on a pitché les battles chez Schneider Electric ou à la Société Générale, on en menait pas large !
  • Et le quatrième pilier, c’est évidemment toute la dimension collaborative. Qui a vocation à devenir de plus en plus contributive d’ailleurs. Comment l’apprenant devient contributeur.

Voilà les 4 piliers de notre conviction.

 

Comment cela fonctionne? L’entreprise vient vous voir avec son besoin, et vous proposez à la fois le contenu et sa mise en scène ?

Par défaut, nous avons investi tout le capital de départ de l’entreprise, c’est-à-dire 250 K€, dans un cours sur la culture digitale. Une manière de montrer concrètement ce que l’on croit : ce cours sur la culture digitale en 1700 questions, 210 vidéos en anglais/français. Un succès avec plus de 50 000 apprenants payants .

Ensuite, c’est la demande des apprenants pour cette nouvelle approche qui nous a aidés. Nous avons customisé des cours pour nos clients sur de nombreux sujets : le management, la gestion de projet, le code of business conduct, le lancement de la Renault Clio RS, la formation de 20 000 commerciaux à l’échelle de la planète chez TAG Heuer pour reprendre le contrôle du discours sur les produits… Donc nous avons commencé à faire des cours.

Et puis, en phase 3, notre plateforme est en train de devenir une market place de cours où les entreprises éditent et se partagent des cours entre elles. Au départ, ce sont des enseignants-chercheurs qui sont venus nous voir. Ils n’en pouvaient plus des pesanteurs de leur institution et de plateformes telles que Coursera. Ils nous ont demandé d’éditer des cours sur la plateforme Coorpacademy et de les vendre. Tout comme de grands éditeurs comme Auféminin.com ou Capgemini Consulting qui a édité sur notre plateforme un cours sur l’internet des objets, Société générale pour le management de projet,…

Il reste à enclencher la phase 4. Les apprenants eux-mêmes seront en capacité grâce aux outils de back-office d’éditer leurs propres contenus et de contribuer à l’ensemble de la plateforme. Notre modèle de référence, c’est Netflix.

 

Y a-t-il une demande de certification et de reconnaissance pour l’individu ?

Non pas pour le moment.

Nous distribuons via notre plateforme des badges ou des certificats ad hoc qui correspondent plutôt à des niveaux d’engagements : l’apprenant a participé à des battles, bien répondu, etc.

Evidemment quand l’entreprise a besoin de faire certifier un cours, nous nous associons à des partenaires académiques ou universitaires en capacité de délivrer le certificat. Mais jusque-là, nous sommes plutôt dans la culture de la formation qui vaut certification.

 

Vous avez récemment annoncé que vous aviez levé une forte somme. Qui investit à l’heure actuelle dans les EdTechs ?

Depuis 2015, il y a eu plus de 500 dossiers de levée de fonds pour 5 milliards de dollars à l’échelle de la planète. Donc beaucoup d’acteurs, le grand rachat référent, c’est celui de Lynda.com racheté par Linkedin lui-même racheté par Microsoft.

Beaucoup de fonds s’intéressent à la EdTech en tant que marché extrêmement significatif, avec des acteurs européens dont nous sur notre positionnement corporate. Notre potentiel est au moins européen voire mondial. Nous avons comme partenaires investisseurs, 3 fonds très proches du monde des entrepreneurs : un investisseur suisse, Debiopharm Investments et deux fonds français, Nextstage et vient de nous rejoindre Serena capital, présidé par Philipe Hayat..

 

Qu’est-ce que recherchent ces investisseurs ? Un nouvel eldorado ? Ont-ils une vision plus sociale, l’éducation comme enjeu important ?

Je vais vous faire une double réponse.

Ils viennent d’abord chercher une performance financière. Le magazine Forbes, titrait en novembre 2012 avec la photo de Salman Khan que vous connaissez certainement avec la Khan Academy : « Le prochain business à un trillion de dollars ». C’est l’équivalent du budget de l’éducation nationale américaine. Donc c’est évidemment la recherche d’un multiple, comme pour la MedTech ou la BioTech peuvent le proposer. Lynda.com avec 4000 vidéos a été racheté 1,4 milliard de dollars par Linkedin ; le français CrossKnowledge, 5 fois le chiffre d’affaires (27 M€), par Wiley un éditeur américain

Avec peut être un facteur d’incertitude moindre parce dans le monde corporate, les budgets sont là. Nous ne demandons pas aux entreprises d’inventer de nouvelles lignes budgétaires mais d’arbitrer. Nos interlocuteurs – grands comptes – ont des budgets de formation qui oscillent entre 1,5 et 8% de leur masse salariale. Les investisseurs le savent.

Evidemment nous avons également souhaité de la smart money, c’est-à-dire des investisseurs qui sont passionnés par l’éducation : Thierry Mauvernay est propriétaire des laboratoires Debiopharm et propriétaire d’une école en Suisse, Next Stage est présidé par Grégoire Senthiles a écrit un livre sur la troisième révolution industrielle associé à des professeurs ; Phillipe Hayat est enseignant lui-même à Science Po et à l’ESSEC donc évidemment, on recherchait ce supplément d’âme et de sens.

 

Faut-il une filière française des EdTechs, n’est-ce pas trop tard ?

On peut considérer qu’il y a déjà une filière française avec France Université Numérique. Je suis un « France optimiste » donc je trouve qu’avec cette plateforme, la France a réagi très rapidement au grand projet américain type Coursera ou EdX. Il y a même eu un peu plus d’intelligence qu’au moment du Secam, de Concorde ou du Minitel. Et avec nos start-ups, comme en témoigne notre levée de fonds parmi les plus importantes en Europe dans le secteur, il y a une filière française des EdTechs.

Par contre, la transformation digitale des collèges, des lycées et des universités est beaucoup plus difficile que celle des entreprises. C’est plus facile dans le monde corporate, vous savez à qui appartient la propriété intellectuelle, la technologie est présente tout comme le e-learning et les budgets.


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